d'après un article de ERIC FAVEREAU paru dans le Monde du 02.05.2009
Après l'émergence de la grippe A, et alors que la France connaît ses premiers cas, toutes les hypothèses demeurent envisageables quant à son développement.
Il est arrivé de façon inattendue, débarquant au Mexique et non pas en Asie. Et il a surpris tout le monde, surgissant au printemps alors que les experts l’attendaient plutôt en automne.
Il manque certes toujours des données essentielles, comme les causes réelles des décès, ainsi que le décryptage complet du virus. Reste que la plupart des observateurs estiment, avec prudence, que le scénario le plus probable est celui d’une pandémie maîtrisable durant les semaines à venir. Mais avec un risque élevé pour la rentrée 2009.
Revue de détails des trois scénarios possibles :Une pandémie de type SRAS?«C’est l’hypothèse basse», note le professeur Antoine Flahaut, directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique. En 2003, la Chine et Hongkong avaient découvert un nouveau virus de type respiratoire, provoquant une pneumonie atypique (Sras).
Ce virus était apparu dans la province chinoise du Guangdong (sud) en novembre 2002, avant de faire, en quelques mois, plus de 800 morts dans le monde, dont près de 350 en Chine. Ensuite ? Rien ou presque. «Cela peut-être le cas aujourd’hui. Il y a certes l’émergence d’une nouvelle souche de H1N1, mais cela peut tourner en eau de boudin avec l’été», imagine le professeur Flahaut. Quelques centaines de victimes, quelques milliers de cas. Mais pourquoi cela s’arrêterait-il ? «Comme pour le Sras, le génie épidémique nous échappe en grande partie.» Si on en reste là, cette bouffée pandémique serait passée inaperçue il y a cinquante ans. «C’est le scénario le plus optimiste, mais il est peu probable, analyse Antoine Flahaut. Le Sras se manifestait avec de forts symptômes. Il fallait hospitaliser tous les patients, et donc les confiner. Là, ce n’est pas le cas, la grippe est pour moitié invisible, sans symptôme.»
Une pandémie incontrôlée?C’est le scénario extrême, le plus grave, celui qui justifie l’inquiétude de l’OMS. La nouvelle souche de H1N1 se révélerait d’une rare virulence. Par des mutations génétiques successives, le virus aurait acquis une forte pathogénécité et une force épidémique du type de la grippe saisonnière. Les cas se multiplieraient donc. En dépit d’une riposte mondiale, la pandémie mettrait à mal les systèmes de santé.
«Je ne crois pas trop à ce scénario, explique Antoine Flahaut, car depuis les dernières grandes épidémies, nous disposons d’un arsenal thérapeutique et d’une infrastructure sanitaire impressionnante.» Pour preuve, il note que chaque année, il y a des virus mutants, et que ces derniers n’ont jamais entraîné de forte surmortalité. Et d’ajouter : «Des travaux récents, à partir d’autopsie de patients morts de la grippe espagnole en 1918, montrent qu’ils sont décédés d’infections bactériennes, infections qui seraient aujourd’hui facilement traitées.»
D’autres travaux, à l’inverse, auraient mis en évidence l’effet direct du virus dans le décès, ce qui serait alors beaucoup plus inquiétant. «On ne peut pas, pour autant, écarter cette hypothèse, argumente Françoise Weber, directrice de l’Institut de vielle sanitaire, car nous assistons à une progression importante des personnes touchées, avec un nombre significatif de décès chez des jeunes adultes. Cela peut basculer avec l’apparition de cas sévères dans une croissance exponentielle.» «De plus, ajoute Didier Houssin, on voit avec la question de la surveillance des voyageurs qu’il est aujourd’hui extrêmement difficile de tout contrôler.»
Une pandémie des temps modernes?
C’est l’hypothèse la plus probable. Antoine Flahaut la qualifie de «pandémie grippale des temps modernes». Une sorte de pandémie en deux temps et à deux vitesses. En deux temps, parce qu’elle redoublera de vigueur à partir de l’automne prochain. Mais surtout à deux vitesses parce qu’elle affectera principalement les pays les plus démunis, ceux du Sud. Dans les pays développés, la maladie suivrait le modèle grippal, ce qui veut dire que la moitié des cas seraient asymptomatiques (sans symptômes).
Le virus se propagerait facilement: pour une personne infectée, deux personnes contaminées. Mais le virus est peu tueur, avec un taux de mortalité analogue à celui de la grippe habituelle : 1 pour 1000. «Pour peu que l’on soit dans un système de santé moderne, cette grippe pandémique restera cantonnée dans un moule de grippe saisonnière.» Dans ce scénario, la pandémie pourrait avoir deux phases. L’actuelle, limitée dans le temps. «Dans les pays du Nord, le virus ne supporte pas bien la chaleur, et il n’y a jamais eu d’épidémies fortes en été», remarquent Didier Houssin et Antoine Flahaut.
«En Europe, il n’y aurait pas grand-chose jusqu’à la fin de l’été, imagine le professeur Jean-Philippe Derenne, pneumologue. Si tel est le cas, cela permettrait de tester le plan de lutte.» Et de lancer une production vaccinale. La question qui se posera alors est la suivante: faudra-t-il mettre en oeuvre toute la puissance des industries vaccinales contre le virus A-H1N1, quitte à délaisser le vaccin contre la grippe saisonnière qui surviendra, elle aussi, de toute façon?
Dans ce scénario, l’enjeu résidera surtout dans la capacité à gérer la deuxième phase, à l’automne. Ce sera un rendez-vous décisif, avec un risque élevé de reprise et d’amplification de la pandémie mondiale, qui se mélangera alors avec la grippe saisonnière. Dans cette hypothèse, les pays riches auront eu non seulement la possibilité d’améliorer leur plan, mais ils disposeront, en outre, de l’arsenal thérapeutique pour y faire face. Quant aux pays pauvres, «le danger sera maximum», notent les experts, tous d’accord sur ce point.
sources: Le Monde