26 mai 2009

La gestion des déchets après une catastrophe

Comment gérer 22 millions de tonnes d’ordures ? C’est le casse-tête qui a été posé à la municipalité de la Nouvelle Orléans, qui devait agir vite pour éviter les risques sanitaires après l'ouragan Katrina


Retour sur les conséquences sanitaires post-catastrophes telles que vécues au moment des faits par les autorités de Louisiane :

Devant la maison, un tas d’ordures haut de soixante centimètres se dresse à la place de l’ancienne haie. Un sommier rouillé gît à côté d’un téléviseur et d’un flacon de détachant. L’air étouffant est imprégné d’une forte odeur de peinture, mêlée à celle d’aliments vieux de plusieurs semaines. Des mouches tournent au-dessus. Des milliers de tas comme celui-ci jonchent la capitale de la Louisiane.

Selon les estimations des autorités, ce sont au total 22 millions de tonnes d’ordures qui mijotent dans la chaleur du marécage depuis plusieurs semaines, donnant à la ville l’apparence et l’odeur d’un dépotoir. Il y a dans les rues de La Nouvelle-Orléans plus de déchets que n’en produit n’importe quelle ville américaine en un an. Et ce n’est pas tout. A ces tas d’ordures s’ajoutent les épaves de voitures et les bateaux échoués sur la chaussée, ainsi que plus de 1 million de réfrigérateurs, de cuisinières et de lave-linge abandonnés sur les trottoirs. Il faudra aussi démolir une centaine de maisons.Le problème se pose même dans les endroits qui ont peu souffert de la tempête : lorsque les habitants sont rentrés chez eux, ils ont retrouvé des réfrigérateurs en panne depuis le jour où le cyclone s’est abattu sur la ville. Ces réfrigérateurs pleins de nourriture pourrie sont aujourd’hui sur les trottoirs, bien fermés avec du ruban adhésif. La commune de Jefferson Parish a mis à la disposition des habitants un terrain que certains ont baptisé le “cimetière des réfrigérateurs”, où ils peuvent jeter leurs appareils électroménagers. Les congélateurs sont remplis de viande, de crabes et de crevettes en décomposition. Beaucoup ont scotché des messages sur lesquels on peut lire, en guise d’avertissement, “Dégueulasse” ou “Ne pas toucher – nourriture puante”.

Certaines entreprises ont été chargées par les autorités d’éliminer le fréon des réfrigérateurs pour qu’on puisse les recycler. Leurs employés doivent également enlever tout ce qui se trouve à l’intérieur. Dans quelque état que ce soit.

Ce qui attend La Nouvelle-Orléans est l’opération de nettoyage la plus vaste et la plus compliquée de toute l’histoire des Etats-Unis. Plus de deux mois après le passage de Katrina, l’Etat et le corps du génie de l’armée, qui coordonne les opérations, cherchent encore comment trier la couche de déchets, qui, outre les substances toxiques telles que le fréon ou le mercure, renferme probablement des centaines de tonnes de produits ménagers comme de l’eau de Javel ou des pesticides. Certains spécialistes estiment qu’il faudra sept mois pour en venir à bout, tandis que d'autres tablent plutôt sur deux ans.

Les autorités ont déjà accordé 2 milliards de dollars [1,7 milliard d’euros] en contrats d’enlèvement des détritus, soit plus de trois fois le budget d’exploitation annuel de La Nouvelle-Orléans, et, selon les représentants de l’Etat, ce coût pourrait encore augmenter de façon substantielle. Près de trois mille camions à benne ont déjà commencé à tourner chaque jour dans les quartiers dont les habitants sont revenus. Le plus gros du travail est réalisé aujourd’hui par trois grandes entreprises et leurs sous-traitants, mais le génie a besoin de davantage de camions. Dans certains quartiers, des tas d’ordures putrides imprègnent l’air d’une odeur de lait tourné, d’eau croupie et de viande avariée. Les habitants ont du mal à supporter cette puanteur, ainsi que les asticots qui l’accompagnent. Ils portent souvent des gants en caoutchouc et des masques pour se protéger de l’odeur et se prémunir contre les bactéries et les moisissures.L’enlèvement des ordures n’est qu’une étape du processus. Les autorités ont demandé aux habitants de trier et d’étiqueter leurs déchets, mais peu ont le temps ou l’envie de veiller à ce que les boîtes de conserve soient empilées à distance des fours à micro-ondes. Il est plus facile de tout traîner sur le bord du trottoir et de laisser les employés chargés du ramassage faire le tri entre le diluant pour peinture et les morceaux de poteaux téléphoniques. Les déchets sont transportés sur un site de collecte, où ils sont triés puis expédiés vers des usines d’incinération, des centres de recyclage ou des décharges réparties dans la communauté urbaine.

Le génie a défini six catégories de déchets : déchets végétaux, déchets ménagers, gravats, déchets chimiques, appareils électriques et véhicules. Les déchets naturels tels que les feuilles, les branches et les troncs d’arbre seront pour la plupart transformés en compost et en copeaux de bois, mais certains seront brûlés pour éviter la propagation des termites. La ferraille et les pneus seront recyclés. “Il y a la volonté de recycler au maximum, mais aussi celle de tout enlever aussi vite que possible.” Cette volonté d’agir vite suscite une certaine inquiétude chez les écologistes. Selon eux, la pression exercée pour faire disparaître les ordures pourrait se traduire par un engorgement des sites de traitement et d’enfouissement, créant un précédent dangereux.

D'après eux, “Il se peut que ce soit la seule solution à l’heure actuelle, parce qu’il est urgent d’éloigner ces déchets des lieux d’habitation, mais il y a là des choses qu’on ne mélange pas en temps normal.” Si ces déchets restent stockés ensemble à long terme, ils représenteront un danger pour la santé publique. Les matières combustibles risquent de s’enflammer, les rongeurs de proliférer et les substances chimiques de s’infiltrer dans le sol. Une grande partie des détritus ayant trempé dans les eaux de crue pendant plusieurs jours, il existe en outre un risque accru de propagation des bactéries et des moisissures.

La gestion des déchets après une catastrophe est généralement le volet le moins prévu dans les plans de sauvegarde, car difficilement quantifiable en amont. Il n'en demeure pas moins que c'est un paramètre particulièrement important à appréhender.

Sources: The New York Times, Courrier International